Quand tu seras grande...

C’est le jour de ma rentrée au CP, j’ai mal au ventre. Maman m’a encore coupé les cheveux tout court, elle dit que les boucles c’est chiant à coiffer.

Je ressemble à un garçon ! Déjà que je suis boudinée dans mon jogging parce que je suis un peu trop boulicroc pour mettre une jolie robe…

Je suis devant cette grande porte et j’ai très envie de rentrer à la maison, jouer avec mes poupées.

Ma mamounette adorée, avec toute sa bienveillance, me claque un gros bisou sur la joue en me braillant un « à ce soir, et surtout tu ne te resserres pas à la cantine ! »

J’arrive dans cette cour immense avec tous ces enfants que je ne connais pas. J’aime pas les enfants, je ne sais pas m’intégrer.

Mémé m’a dit, si tu ne sais pas quoi faire souris, sauf que j’ai perdu trois dents la semaine dernière… Je ne suis pas sûre qu’une petite fille édentée avec une coupe mulet frisé fasse vraiment rêver !

Je remarque au loin deux messieurs qui font des allers-retours. Il y en a un gros et un petit, comme Laurel et Hardy.

Des élèves leur serrent la main. J’en déduis que ce sont les maîtres et que je dois, moi aussi, aller les saluer. Maladroitement, je traverse ce qui me semble être une autoroute, avec l’impression que tout le monde se moque de moi.

Plus je m’approche, plus le géant m’effraye. Il ressemble à un ogre avec des poils partout et de la fumée qui lui sort du nez ! Je m’empresse de me présenter avant qu’un des boutons de sa chemise, beaucoup trop serrée, ne me crève un œil.

Sans un mot, avec un regard noir, cet imbécile brise ma mini main dans son énorme paluche. Les larmes aux yeux, je me dépêche de ramasser mes doigts avant d’aller me cacher dans un recoin, en attendant que la cloche sonne.

Une dame s’approche alors de moi avec un immense sourire, elle est rigolote. Elle a des bottes à poils roses et un gros nœud dans les cheveux.

– Coucou ma jolie, tu ne vas peut être pas me croire parce que je suis hyper bien conservée, mais je suis toi dans trente ans.

Je suis venue te dire que ça va aller.

Bon peut-être pas les quinze prochaines années. Je ne vais pas te mentir, tu vas en chier !

Tu vois cette raclure de bidet qui vient de te fracturer la main ? Sa femme préfère jouer au tennis avec son prof plutôt qu’avec lui. Ce gros nul ne sait absolument pas manier sa raquette !

Il a du mal à l’encaisser… C’est pourquoi il adore venir ici vous en faire baver !

Tu auras aussi les autres gamins qui se moqueront de ta cellulite, surtout ce petit morveux d’Arnaud.

Un fils à papa un peu trop gominé pour ses huit ans, qui joue au play-boy des bacs à sable avec ses levis 501 et ses tee-shirts waikiki !

Tous les midis, dans la file de la cantine il prendra ta tête pour un buzzer en hurlant végétaline !

En même temps, il faut avouer que ce bonnet fourrure écharpe intégrée rose fuchsia était plutôt tentant… Merci maman !

Mais ne t’inquiète pas, la vie se chargera de lui rappeler qui est le patron ! Il finira seul, chauve et bedonnant cet abruti !

Je ne te parle même pas des profs qui te rabaisseront en te prenant pour une écervelée, juste parce que ta sensibilité est différente et que ce système scolaire n’est pas fait pour une gamine rêveuse, à l’imagination un peu trop débordante.

Surtout rassure-toi ma mignonnette, après tous ces moments compliqués à chercher ta voix, tu finiras par t’épanouir et trouver ta place.

Je peux te jurer que tous ces instants difficiles te seront bénéfiques. Ils te permettront de rester optimiste et de toujours voir le verre à moitié plein.

En attendant, regarde la petite brune avec des pompons dans ses couettes, elle s’appelle Noémie.

Va la voir et fais-lui une blague pourrie, elle deviendra ta meilleure amie.

Encore un dernier petit conseil avant de m’éclipser, vis ta vie comme tu l’entends, essaie d’être plus gentille avec toi même et ne te laisse jamais parasiter par le regard des gens !

Je t’aime, alors fais-en autant !